7 idées open-source pour la transition
7 idées, version web 2.0
Article écrit par Kristen (Aveyron) sur son site : http://www.arpentnourricier.org/
Dans la série sur les 7 idées pour la transition, celui-ci est consacré à la partie plus informatique de la transition. Quoi qu’en disent certains, l’internet est un outil central dans la transition énergétique. Je me demande même si l’internet n’est pas l’un des facteurs essentiels ayant conduit à l’émergence de la transition. Je reviendrai sur la révolution que constitue l’internet (de type open-source et web 2.0) dans les rapports que l’humanité entretient avec l’information et la prise de décision, et l’importance que ça revêt pour créer de la résilience en permettant de décentraliser le monde. Pour l’heure, contentons-nous d’énumérer quelques idées qui pourraient bénéficier d’une collaboration open-source et de quelques compétence informatiques.
Echange de semences peer-to-peer
Connaissez-vous bookmooch ? C’est un système d’échange de livres sur internet dans lequel chaque participant fait la liste des livres qu’il veut bien donner, la liste des livres qu’il voudrait recevoir, et le système organise la rotation des livres : chacun se charge des frais d’envoi aux destinataires des livres que le serveur aura désignés comme heureux récipiendaires de ses dons, tandis qu’il reçoit gratuitement des livres de sa liste de souhaits, expédiés par d’autres participants. La comptabilité est assez simple, puisque 1 livre expédié donne droit à 1 livre reçu.
La technologie pourrait être rigoureusement la même pour les échanges de semences anciennes : chacun enverrait à ses frais des sachets de graines et en recevrait d’autres gratuitement. Il y a en plus trois avantages majeurs des graines sur les livres : la livraison est moins chère, il y a probablement moins de références à gérer, et les graines se multiplient.
Avec un tel système, il serait parfaitement envisageable que des particuliers aux quatre coins de la France (voire du monde) puissent entretenir la biodiversité et la richesse des variétés potagères : une sorte de conservatoire distribué, vivant, et nourricier, aux antipodes des banques de graines centralisées, congelées et probablement stériles.
Système de logistique distribuée
Avec le déclin progressif des énergies fossiles, le prix du transport augmentera mécaniquement. Le transport sur les longues distances pourra toujours bénéficier de grosses économies d’échelles et de moyens de transport économes (bateau, train), mais le transport jusqu’au client final se fait généralement par voiture ou camionnette.
Pour les petits colis, c’est la Poste qui est le plus efficace, avec ses tournées qui desservent absolument tout le monde, mais elle serait bien en peine de distribuer des marchandises plus volumineuses ou plus lourdes, par exemple vos courses, et c’est là qu’il faut utiliser autre chose.
L’idée de s’appuyer sur les consommateurs eux-même pour la livraison, les grandes surfaces la mettent en pratique tous les jours : chacun va faire ses courses au supermarché, qui n’est finalement qu’en vaste entrepôt coloré, assemble soi-même sa commande et réalise sa propre livraison. C’est assez idiot en termes d’efficacité énergétique, à moins qu’on arrive à faire les courses pour ses voisins.
C’est en particulier en travaillant sur la logistique des AMAPs et des groupement d’achats qu’on peut chercher à optimiser un réseau logistique s’appuyant uniquement sur les allées et venues des particuliers-consommateurs. En essayant de profiter au maximum des déplacemennts que les gens font de toute façon (travail, école, marché, etc.), ce réseau logistique pourrait être particulièrement efficace en énergie et en coût (mais probablement pas en temps). Un atout majeur de ce système, c’est que les particuliers ont naturellement tendance à aller travailler dans les lieux de production et les lieux urbains, et à habiter dans les quartiers résidentiels et les zones rurales. Il sont donc par construction des livreurs idéaux.
Le nombre d’acteurs étant particulièrement grand, avec des contraintes personnelles particulièrement disparates, la gestion centralisée d’un tel réseau serait illusoire. En revanche la gestion distribuée assistée par internet et par téléphonie mobile pourrait avoir du sens. Je n’ai pas encore raffiné les détails, mais on pourrait imaginer que chaque participant précise sur un serveur ses habitudes de trajets, que les participants au niveau local définissent quelques points de redistribution un peu centraux et sécurisables (la gare, l’école, le marché, le café, la mairie) à la manière des points Kiala. La machine optimiserait ensuite les parcours des colis à acheminer en envoyant des alertes courriel ou SMS aux participants sollicités. Un participant prendrait le colis au point spécifié, le scannerait avec son téléphone mobile (juste une photo du code barres), et l’emmènerait à un autre point spécifié. A chaque trajet, le participant gagnerait des points, ce qui pourrait soit lui valoir des livraisons gratuites pour ses colis, soit éventuellement une indemnisation en nature (essence, pneus). S’il s’agit de produits non-périssables, on peut s’appuyer intégralement sur les allées-venues habituelles des gens, ce qui ferait un coût de transport quasi-nul et poserait peu de questions au niveau des assurances. Pour les produits périssables tels que les paniers de fruits et légumes des AMAPs, il faudrait peut-être que le producteur ou un adhérent se charge d’effectuer un trajet spécifique pour le premier tronçon de la livraison.
Qu’il soit mis en oeuvre par une entreprise ou une association, ce principe pourrait se financer de plusieurs manières : soit l’essence est vraiment chère, auquel cas ce sera probablement le mode de livraison le moins cher, ce qui rend son succès commercial inéluctable ; soit l’essence n’est pas encore suffisamment chère, auquel cas il faudrait plutôt financer l’opération en vendant des crédits carbone (ou par un autre mécanisme qui récompense la sobriété énergétique), puisqu’on saurait assez facilement chiffrer l’économie de carbone occasionnée.
Recherche agronomique distribuée-coordonnée
J’ai déjà mentionné dans un précédent article qu’il ne suffit pas d’imiter la nature pour qu’une conception permaculturelle soit au point du premier coup. L’évolution a mis des millions d’années pour mettre au point les écosystèmes résilients et productifs que nous observons autour de nous ; il semble normal qu’il faille au moins quelques années voire quelques décennies de tâtonnements pour qu’une conception permaculturelle porte vraiment ses fruits. Comme chaque jardin est différent et chaque jardinier a ses propres contraintes, on ne peut pas s’appuyer sur des recettes toutes faites développées par un Institut National de la Recherche en Permaculture, et chacun doit s’y coller.
Cela dit, rien n’empêche de mettre en commun les réussites et les déboires — c’est d’ailleurs l’un des objectifs de ce site. Charge à chacun d’interpréter les expériences des uns et des autres et d’en adapter les enseignements à son jardin. Il manque probablement aux permaculteurs francophones un ou plusieurs forums pratiques calqués sur le forum des agricoolteurs, consacré au non-labour et aux techniques culturales simplifiées en grande culture.
Mais on peut aller encore plus loin, quand il s’agit d’expérimentations au long cours qui seraient trop lourdes ou trop longues pour une seule personne. On pourrait collectivement proposer des protocoles expérimentaux sur des sujets d’intérêt large, et chacun s’emparerait d’un bout du sujet pour mettre en oeuvre une expérimentation dans son jardin et ensuite mettre en commun les observations.
Prenons un exemple concret : le problème des limaces est un sujet central dans les techniques de non-labour et de culture sur butte autofertile avec paillage épais et permanent. L’une des solutions proposées en permaculture consiste à entretenir des populations de prédateurs (carabes, hérissons, crapauds) en maintenant un habitat adapté dans le jardin : haies, tas de bois, murets en pierres sèches, etc. On pourrait imaginer d’établir une méthodologie de comptage des limaces et des prédateurs, ainsi qu’une méthodologie d’observation des éventuels dégâts causés par les gastéropodes, et que chacun mène des observations dans son jardin sur quelques années, en notant la présence d’habitats, la météo, les cultures affectées, etc. On met ensuite en commun la masse de données accumulées, et chacun peut tâcher de mettre en évidence des corrélations et éventuellement des recommandations quant à l’efficacité relative des différentes approches selon le climat, le terrain, etc. D’ailleurs, si de vrais agronomes veulent nous donner un coup de main pour mettre tout ça en forme et cosigner une publication — consultable par tout le monde, bien entendu — ils seront les bienvenus.
Université podcast
L’une des préoccupations majeures des initiatives de transition, c’est celle de l’inadéquation entre nos compétences actuelles (formation académique intellectuelle, emplois de bureau) et les besoins futurs d’une société en décroissance énergétique qui devra renoncer aux machines dans de nombreux domaines. Rob Hopkins appelle à une ‘grande reconversion’ (the great reskilling) pour que chacun acquière des compétences artisanales concrètes pour augmenter la résilience des collectivités. Cette grande reconversion représente un lourd investissement en temps, or nous manquerons justement de temps s’il nous faut nous remettre à faire à la main de nombreuses tâches précédemment mécanisées. Prenons l’exemple de l’agriculture : s’il faut revenir à une proportion de 20 ou 30% de paysans, il faut pouvoir former des paysans à tour de bras. Mais on n’aura pas les ressources pour que 20% des gens passent quelques années dans un amphi, ni même les ressources pour avoir assez d’enseignants pour ces cohortes d’aspirants paysans.
Contrairement aux initiatives actuelles qui généralisent la mise en ligne des amphis ou des tutoriels en vidéo sur youtube, l’idée d’une univeristé agricole en podcast, c’est qu’on peut être à la fois aux champs et en amphi — c’est l’intérêt des tâches manuelles non-mécanisées que de libérer une partie de l’esprit et des oreilles pour s’informer ou se former en même temps. Le support audio est idéal par rapport à la vidéo, puisqu’il ne nécessite que très peu d’infrastructures et de ressources. Ainsi, sur le même modèle que le site des archives de l’émission Terre à Terre qui diffuse des centaines d’heures de sagesse écologique, on pourrait rassembler les ressources audio pour qu’avec un simple lecteur mp3 à 100€ et un accès internet chez le voisin, chaque apprenti paysan puisse se former tout en travaillant son jardin. Si on est limité en débit, on peut même décider de diffuser non pas des enregistrements audio mais des ouvrages textuels, la synthèse vocale texte → mp3 s’effectuant du côté client et non pas du côté serveur.
La formation audio serait aussi parfaitement adaptée à un monde où les transports seraient plus lents : s’il me faut deux heures de marche, de vélo ou de transports en commun pour aller au travail au lieu de 20 minutes en voiture, je peux suivre 800 heures d’enseignement par an pour un coût collectif défiant toute concurrence, et ainsi permettre la grande reconversion sans qu’il faille attendre un grand plan d’urgence national qui ne viendra sans doute jamais.
Enseignement à distance Open-Source
Continuons dans la veine de l’enseignement. Quand on voit que l’enseignement dispensé par l’Education Nationale est de plus en plus inadapté aux enjeux de la transition, et que l’institution elle-même n’est probablement pas très résiliente en cas de crise majeure et prolongée, on est tenté comme un nombre croissant de parents de ne pas scolariser ses enfants et d’assurer l’enseignement à la maison. Outre la reproduction des préjugés culturels, le risque que j’y vois c’est que les parents se limitent aux enseignements qu’ils maîtrisent. Mais si les parents mettaient en commun leurs ‘programmes’, leurs activités de découverte, leurs ressources documentaires, leurs sujets de curiosité etc. on disposerait d’une ouverture et d’une richesse que jamais l’enseignement académique centralisé ne pourrait atteindre, et aucun enfant ne serait bridé dans son apprentissage par les éventuelles difficultés des parents sur tel ou tel sujet.
Technologie appropriée Open-Source
Pour un monde relocalisé où l’activité productive dé-mondialisée se fait à plus petite échelle, il nous faudra toute une gamme d’outils technologiques nouveaux. Les nouveaux outils et les nouvelles machines doivent être moins gros que les machines d’usine, consommer moins d’énergie (et éventuellement plus d’huile de coude), et être moins sophistiqués pour permettre d’être construits et maintenus localement avec les ressources matérielles et techniques du lieu. Cette gamme intermédiaire, c’est ce qu’on appelle la technologie appropriée : depuis l’après-guerre, c’est surtout dans le cadre d’initiatives de développement pour les pays du Sud que quelques ingénieurs sans frontières conçoivent et mettent au point des matériels moins complexes et à échelle familiale.
Ce qu’on voit apparaître grâce à la diffusion de l’internet dans les pays du Sud, c’est un foisonnement des techniques et des outils en technologie appropriée, non pas conçus et mis au point par des ingénieurs occidentaux, mais par des ingénieurs locaux, voire des villageois ingénieux. Et ces concepts font rapidement le tour de la toile, avec chacun qui les améliore ou les adapte à ses contraintes ou ses ressources locales : foyers rocket, fours solaires, chauffe-eau solaires, moulins, botteuses, décortiqueuses, semoirs, attelages, pompes, éoliennes, etc.
A l’instar du développement collaboratif d’outils informatiques grâce à des collaborations bénévoles entre informaticiens du monde entier, je suis persuadé que le modèle Open-Source est le cadre idéal pour la conception et la mise au point des outils en technologie appropriée dont nous aurons bientôt besoin.
Internet très-bas-débit
Pour toutes les idées mentionnées ici, l’internet est un outil central. Malheureusement, on lit partout que l’internet représente une part de plus en plus importante de notre consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre. Si l’on tire le fil de ce constat, il faut en conclure que dans un monde de descente énergétique il faut envisager qu’on aurait moins d’internet. Pourtant, la possibilité de communiquer offerte par internet est à mon sens au coeur de notre capacité à envisager collectivement la transition. D’ailleurs je suis convaincu que la transition est un pur produit d’internet. Ainsi, je pense qu’il nous faut concevoir une forme d’internet qui puisse fonctionner avec nettement moins de moyens, et avec des ressources électriques intermittentes, pour à terme n’exiger que de l’électricité renouvelable produite de façon distribuée aux différents noeuds du réseau.
En très gros, la puissance consommée par un réseau de communication, c’est proportionnel au débit d’information. Et la puissance consommée par une ferme de serveurs, c’est proportionnel au volume de données stockées et au débit. Et la puissance consommée par un ordinateur personnel, c’est proportionnel à la puissance de calcul mise en jeu, donc au débit d’information.
Qu’est-ce qui génère du volume et du débit sur internet ? Le multimédia. Une minute d’audio, c’est 100 fois plus lourd qu’une page de texte, et une minute de vidéo, c’est 50 fois plus lourd que l’audio. Ainsi, si l’on revient au bon vieux texte et aux dessins et animations en format vectoriel, on économise un facteur 5000. Il faudrait probablement renoncer à Youtube et à la vidéo à la demande, mais on garderait wikipédia, les blogs, le mail, même en revenant à des débits de 56 kbps.
Et pour se passer des fermes de serveurs, il faudrait généraliser le stockage peer-to-peer (chacun hébergerait un bout de wikipédia sur son ordinateur) et inventer un moteur de recherche peer-to-peer distribué. Avis aux développeurs fous [note : apparemment, il y a quelques balbutiements intéressants].
Note finale
Comme pour toutes les idées de la série, le but est qu’elles se diffusent pour que l’une ou l’autre ait la chance de rencontrer celui ou celle qui aura l’inspiration et la motivation de lui faire voir le jour : n’hésitez pas à vous emparer de ce qui vous semble pertinent et à le reprendre à votre compte.